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« Soit la phrase : Robert a acheté le Figaro. Cette phrase a par elle-même un sens, une représentation sémantique est associée à chacun de ses éléments et à leur combinaison. Mais il se trouve que cette représentation est ambiguë puisque la phrase peut signifier soit que Robert a acheté un exemplaire du quotidien, soit qu’il a acheté l’entreprise qui le fabrique. Le lecteur avouera peut-être que, spontanément, il n’envisageait même pas la possibilité de la seconde interprétation. S’il demande pourquoi, il dira sans doute qu’elle lui paraît peu probable : si rares sont parmi les hommes qu’il connaît et qui se prénomment Robert ceux qui sont susceptibles d’acheter une entreprise de presse qu’il ne voit pas pourquoi il choisirait cette interprétation plutôt que la première, qui a pour elle l’avantage de la familiarité (et ce lecteur a raison ; mais il devra aussi chercher pourquoi la phrase apparemment synonyme : le Figaro a été vendu à Robert serait elle, plus spontanément considérée comme relative à l’entreprise qu’à un exemplaire du journal, et il sera alors mûr pour la linguistique). En fait, le destinataire d’un énoncé retient celle des interprétations de la phrase émise qui lui paraît la plus plausible dans le contexte de l’entretien en cours, et en partant des hypothèses qu’il fait sur le souci d’informativité et sur la sincérité du locuteur. Ce dernier, de son côté, se dispense de préciser qu’il parle de l’entreprise ou d’un exemplaire parce qu’il escompte que, dans le même contexte, l’auditeur ne peut pas faire d’erreur. Bref, chacun calcule et infère […] en prenant en compte ce qu’il croit savoir de l’autre en même temps que les données de la situation d’entretien. »
Jean-Claude Parriente Le Langage, in Notions de philosophie, t. 1, Éd. Gallimard, colt. «Folio-essais », 1995, pp. 410-411.