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Texte Philosophique – Paul Veyne : « Comment on écrit l’histoire »

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5462210a-560a-11e4-b9f9-6d062b046f6bPartons de la proposition historique la plus simple: «Louis XIV devint impopulaire parce que les impôts étaient trop lourds». Il faut savoir que, dans la pratique du métier d’historien, une phrase de ce genre peut avoir été écrite avec deux significations très différentes (il est curieux que, sauf erreur, on ne l’ait jamais dit: aurait-on oublié que l’histoire est connaissance par documents, donc connaissance lacunaire?); les historiens passent sans cesse d’une de ces significations à l’autre sans crier gare et même sans bien s’en rendre compte, et la reconstitution du passé se trame précisément par ces allées et venues. Ecrite dans sa première signification, la proposition veut dire que l’historien sait par des documents que les impôts ont bien été la cause de l’impopularité du roi; il l’a, pour ainsi dire, entendu de ses oreilles. Dans la seconde signification, l’historien sait seulement que les impôts étaient lourds et que, par ailleurs, le roi est devenu impopulaire à la fin de son règne; il suppose alors ou croit évident que l’explication la plus obvie de cette impopularité est le poids des impôts. Dans le premier cas, il nous raconte une intrigue qu’il a lue dans des documents: la fiscalité a rendu le roi impopulaire; dans le second, il fait une rétrodiction, il remonte, de l’impopularité, à une cause présumée, à une hypothèse explicative. »

Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, 1971.

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